Je pensais qu'il n'existait pas, ou tout du moins, seulement dans les livres. Le sage, tel qu'on l'imagine habituellement, arbore une longue tunique brodée d'or, hante les bibliothèques et ne parle de la vie que par citations philosophiques.
Celui-ci est bien ancré dans le monde quotidien. Je le rencontre là où je m'y attendais le moins : dans la rue. Pas de grande tunique, mais plutôt un jean ni propre ni sale ; pas de bibliothèque, juste un gros sac élimé pour tout bagage ; pas de broderies d'or, juste une écuelle avec un peu de monnaie pour toute richesse.
Tout en restant assis, il aide une voiture à se garer en créneau devant lui. Ses grands gestes et ses indications approximatives me font sourire. Le teint rouge, une barbe blanche naissante, sa voix profonde roule les "R" avec un accent exotique.
"Vas-y, rrrecule, rrrecule encorrre, tourrrne, tourrrne plus !"
C'est alors que par un geste malencontreux, il renverse son écuelle. Les piécettes se répandent alentour. Il se fige une seconde, puis, très sérieux, lâche un :
"Merrrrde !"
Il me regarde un instant, penaud, puis éclate d'un rire tellement sincère et détaché de tout complexe, qu'une fois ma surprise passée, je me met à rire moi-aussi. A cet instant-là, il y a entre nous comme une compréhension implicite, une complicité qui nous unit aussi bien que si nous nous connaissions depuis longtemps. Tout en continuant de rire, nous ramassons ses pièces. Mon rire me surprend moi-même : cela fait longtemps que je n'ai pas ri de si bon cœur ! Une fois le silence revenu, je le considère. Avec admiration. C'est un sage.
Lui qui tend la main à la vie - sans réponse, même quand c'est pour aider un automobiliste - il prend la vie avec philosophie, il appréhende les difficultés avec détachement. De notre discussion qui suit, je comprend qu'il est grec et qu'il voyage "comme il peut". Il cherche parfois ses mots, s'aidant de l'Anglais, l'Allemand, ou l'Espagnol - il parle 7 langues ! C'est un homme de grande vertu, fidèle à son épouse restée au pays. Chaque matin, il fait une heure de yoga. Sous les ponts.
Pendant notre discussion, je vois des connaissances passer, sans un regard pour ces deux individus assis par terre. Je me reconnais parmi eux, la tête haute, bien trop occupé pour daigner regarder en bas.
Au mieux, ces passants répondent à mon salut par un regard de surprise dégouttée : "Mon voisin traîne avec un SDF ??..."
J'aimerais revoir ce sage si humble, continuer à le connaître, lui est qui si riche d'expériences... Mais il est chaque jour à un endroit différent, et il compte reprendre son périple vers la Grèce dans les prochains jours. Je lui souhaite de poursuivre paisiblement sa vie, avec toujours autant de philosophie, et le salue très respectueusement.
il ne sera pas nécessaire que l'on me recommande un roman,
désormais j'aurai les histoires de monsieur elie, comme celui-ci
> à rire de si bon cœur en plein public avec un inconnu !!
c'est bien un evenement hors de l'ordinaire, il me faudrait quelques temps pour me fouiller le mémoire ..
et si je retrouve quelque chose, je reviendrai pour vous dire
Rédigé par : ira | 27 juillet 2008 à 16:40
Voici un petite vidéo pleine d'émotion :
http://www.youtube.com/watch?v=adYbFQFXG0U
Rédigé par : SamDProd | 28 juillet 2008 à 13:05
Ces sages, on les rencontre au moment les plus inattendu: au coin d'une rue, dans un terminus d'autobus, dans une auberge de jeunesse, etc.
Il m'est arrivé de passer mon chemin, d'autres fois de m'arrêter et de discuter. Eh oui, ils ont l'air de rien mais ce sont de véritables princes en liberté.
Faut avoir les yeux pour les reconnaître. Bravo d'en avoir reconnu un.
ps: le vidéo est très bien!
Rédigé par : Inukshuk | 30 juillet 2008 à 01:00