Lundi, 8h10. J’attends le tramway dans le froid matinal. Un homme et son fils me rejoignent à l’arrêt. Je me souviens les avoir déjà vus, car le père porte, pour manteau, une grande cape bleu marine, de style assez médiéval. Sa capuche le protége du froid.
Son fils, âgé tout au plus de deux ans, porte un manteau rouge, tel celui du petit chaperon assorti. Ses petites boucles blondes dépassent de sa capuche. Ses grands yeux verts sont très observateurs. Rares sont les si jeunes enfants qui prennent ainsi le tramway comme des grands, sans poussette ni porte-bébé.
Pour amuser son fils, l’homme lui montre que l'on peut écrire dans le givre sur la vitre de l’arrêt de tram. Tout en épelant, il écrit lentement : L, U, C, A, S. Je suis heureux de pouvoir associer un prénom au visage du petit bonhomme.
Dans le tram, tout en restant debout, le petit reste silencieux et s’adosse à un angle du wagon, dans un petit espace où un adulte ne pourrait se tenir. Je me dis que cela doit être agréable de trouver ainsi un petit coin rassurant, adapté à son gabarit. Il a même deux piliers verticaux à portée de mains pour se caler.
J'admire un moment son calme, puis me replonge dans le magazine que j’ai emmené pour le trajet. Entre deux articles, l’un sur les pertes drastiques de cash-flow imputables aux économies émergentes, et l’autre sur la terrible récession des instituts de conjonctures au bio-carbone thermique (en K% consolidés), une bête publicité pour du gaz français. Je suis tenté de tourner la page, mais je remarque que l’image représentant un homme avec une cape de Superman est un hologramme, sur carton détachable de 10 * 10 cm.
Après un moment d’hésitation, je décolle l’image, et croise le regard du père. Je tourne l’image vers lui. S'il se demande pourquoi je fais cela, il comprendra que c’est pour le rassurer quand à mon geste suivant : je me baisse et m’adresse au petit, le plus gentiment possible.
- Bonjour Lucas, regarde cette belle image, elle est magique. Tu vois le monsieur dans sa cuisine ? Il a une cape qui bouge toute seule !
Je fais alors bouger l’image pour animer l’hologramme. Je ne suis pas déçu de la réaction de Lucas : le bambin ouvre de grands yeux, saisit le carton avec ses deux petites menottes, sans piper mot, et le fait bouger à son tour. Il l’agite ensuite énergiquement, sûrement pour aider le personnage à prendre son envol.
Puis il tire le manteau de son père (celui-ci ne l’a pas quitté des yeux), et l’appelle. Je découvre sa petite voix aiguë si mignonne.
- Papa ! Papa !
Celui-ci se baisse et regarde l’image avec Lucas.
- Fais voir la belle image que le monsieur t’a donnée ? Oooh, c’est un magicien qui peut voler avec sa cape. Elle bouge toute seule !
Puis le petit me rend aussitôt l’image en disant :
- Merciiii !
Je suis un peu déçu qu’il ne veuille pas la garder, mais son père m’apporte l’explication :
- C’est bien, tu rends l’image au Monsieur.
Nous échangeons alors un sourire, puis tous deux descendent déjà du tramway. Je cherche à les suivre du regard, mais ils ont disparus, happés par la foule.
Et puis… Et puis… Et puis… Et ben, tu sais… Y’avait du vent, alors quand on est sortis du… quand on est sortis du tramway, et ben… Avec Papa, y’avait du vent… alors, quand on est sortis… on s’est envolés ! Z’avais un peu peur au début, alors ze serrais fort la main de Papa ! La cape de Papa, elle flottait derrière lui, et moi y’avait ma cape qui flottait aussi ! Ça me faisait voler trèèèèèèèèèèès haut, très haut, très haut, dans le ciel tout là-haut ! Et on est revenu vers le… vers le tramway, et z’ai fait coucou au monsieur qui m’a donné mon pouvoir mazique de voler !
Un grand bravo pour cette nouvelle.
Rédigé par : Ton Frère SamSam | 20 janvier 2010 à 09:45
Merci !
Après l'avoir écrite, je me rends compte que le titre fait d'abord penser que c'est une rencontre magique pour moi (narrateur), mais finalement c'est dans la bouche de l'enfant que le mot "magique" apparaît. Donc c'est l'enfant qui fait apparaître cette magie.
Sauf que les paroles de l'enfant sont inventées par l'auteur (moi). Donc cette rencontre provoque (aussi ?) un changement chez moi : elle "libére" mon imagination pour que je crée cette magie, exprimée au travers de l'enfant.
Rédigé par : Elie | 20 janvier 2010 à 10:12
très belle histoire pleine de poésie.
jeand
Rédigé par : jeand | 20 janvier 2010 à 12:58
Ta belle histoire a endormi ma petite... :-)
Rédigé par : Namily | 22 janvier 2010 à 14:36
@ Namily: hihi, c'est mignon, je ne m'attendais pas à ce que ca soit utilisé comme berceuse ;-)
Je serais curieux de savoir à quoi elle a rêvé...
Le passage sur la "récession des instituts de conjonctures au bio-carbone" ne lui a pas fait peur ?
Rédigé par : Elie | 22 janvier 2010 à 17:29
Bien, bien, bien !
Changement de narrateur, super.
Rédigé par : karl3i | 26 janvier 2010 à 00:02
@ karl3i : merci, karl3i senior ! ;-)
Rédigé par : Elie | 26 janvier 2010 à 08:56