From the Holstee manifesto
From the Holstee manifesto
05 juillet 2011 dans Bonnes nouvelles, Comportements humains | Lien permanent | Commentaires (0)
Sur ma route d'Orpierre à Grenoble, j'ai fait une rencontre intéressante : j'ai pris en stop Bertrand, SDF chti de 50 ans, un ancien de la ferronnerie du nord. Ses parents sont morts quand il avait 6 mois. Il survit de 40€/semaine grace à son cota COTOREP.
Ce jour là, il n'avait pas mangé de la journée, je lui donc acheté un sandwich et on a pris un café ensemble. Et je lui acheté du tabac, car c'etait son seul plaisir (bien que je savais que c'etait mauvais pour lui, mais tant pis, la priorité n etait pas là).
Il allait chez un paysan à Gresse en vercors, qui l'avait pris en stop quelques mois auparavant et qui lui avait donné son adresse en cas de galère. Donc j'ai fait un détour pour le déposer. Ainsi, les gens à qui il reste le plus d'humanité sont parfois ceux les pieds bien sur terre (ou dans la terre).
Ces jours-ci, Bertrand marchait 50 km par jour en esperant qu'une voiture s'arrête. Une fois, une BMW s est approchée, a baissé sa fenetre, puis est repartie... il était dégouté de ces gens qui ont de la chance dans la vie, mais qui n'en ont pas conscience, et donc ne la partage pas avec les autres.
(...!!!... Ecrire ceci me refait penser à la scene d'Albert Dupontel en BMW qui prend un autostopppeur, dans "Deux jours à tuer", puis lui donne tout ce qu il peut... Je suis ému... A posteriori, je suis donc heureux d'avoir agi ainsi, puisque je considérais comme tres beau l'agissement du personnage de Dupontel dans cette situation.)
Les commerçants voyaient Bertrand d'un mauvais oeil, jusqu'à ce que je montre que j'etais sa "caution" et alignait l'argent...
Apres, seul, je me suis arreté à l'eglise de Gresse-en-Vercors, et j'ai vraiment compris (à nouveau) à quel point les prières qu'on adresse à Dieu sont adressées à nous meme. Ex : "donne nous notre pain de ce jour" prenait enorment de sens quand c'est moi qui ai permis à Bertrand d'avoir son sandwich du jour... (Ca rejoint ma vieille idée selon laquelle "Dieu, c'est soi-même".)
L'humanité est un grand et unique organisme vivant, on en est tous un membre, et on ne peut pas espérer avancer loin si on néglige un orteil, ou si on méprise un organe.
La vie, ça croustille, c'est comme des miettes sur un siège et une odeur de sandwich au pâté et d'alcool ; la vie n'est pas carrée, uniforme, impec' et lisse comme un meuble Ikea. Autrefois ces miettes m'auraient dérangé, mais là au contraire je les laisse et même les apprécie.
Sans imperfections, la vie n'est pas "parfaite" pour autant : elle "n'est pas", tout court. Ce sont les imperfections, la variété des rencontres, et l'intensité du vécu qui la rendent parfaite.
19 juin 2011 dans Comportements humains, Quelle société ! | Lien permanent | Commentaires (0)
Ces p’tits mots si durs à dire,
Ces p’tits mots qu’on garde verrouillés à l’embrasure des lèvres,
On les emmure derrière les murailles de notre fierté bien mûre mais immature.
Ces p’tits mots, ils feraient pourtant tellement de bien à dire, tellement de bien à laisser mûrir, puis laisser fuir, pour mieux s’enfuir des soucis endurcis ici-bas.
Dire « merci »,
ça coûte parfois beaucoup, mais ne pas le dire du tout, ça peut coûter jusqu’à ta vie, tu vois ?
Alors courage, courrons, coupons court à toutes ces courbettes et soyons francs, ça coûte pas cher ni 100 francs.
Des p’tits mots, des p’tits mots qui baissent ton grand pont-levis sur la vie derrière ta forteresse, tu donnes ton adresse, sans faire ton altesse.
« Excuse-moi »,
« s’il te plait »,
ou même… « je t’aime »
Des p’tits mots, des p’tits mots, juste là, à portée de bras, mais parfois bien trop là-bas, trop loin, trop lents, trop durs à dire sans te faire applaudir, trop peur de t’alourdir d’un fardeau trop tard, trop haut.
A toi qui ne sais pas dire « non », n’oublie pas, c’est comme ton propre nom que tu laisses à l’abandon. Et qui n’a pas de nom n’existe pas. Alors refuse, diffuse ton « non », avec effusion, quitte à péter un plomb. Au moins tu coupes le cordon.
A toi qui ne peux pas dire « oui », contre quoi te bats-tu sans cesse dans la vie ? Essaye une fois, tu verras la paix, tu seras ébloui. Ta hache de guerre sera enfouie, ta colère engloutie, tu te sentiras épanoui, tout fou, inouï.
« Stop »,
« j’arrête »,
« je démissionne »
Les p’tits mots, les p’tits mots vraiment urgents, il ne faut pas les faire attendre :
« A l’aide »,
« au secours »,
« je n’en peux plus »
Ils sont bien plus importants, plus importants que d’autres futilités, pourtant ils passent toujours en derniers, relégués derrière les billevesées plus appréciées.
Normal, c’est bien plus facile de se taire. Ne rien dire, laisser faire ! Souffrir en silence, vouloir s’y faire ! Prendre son mal en patience, voir Lucifer en audience ! Tu veux te tirer d’affaire, tu panses tes plaies, le jour est l’enfer !! Ta vie est rance sans espérance dans cette errance terrible telle une erreur horrible, mais ça peut pas durer !!!
T’en fais pas,
ces p’tits mots,
ces p’tits mots,
sont là pour toi.
Quoi qu’on nous fasse croire, quoi qu’on nous ressasse, on peut avoir des faiblesses, sans qu’on les cadenasse. Ces démons qui nous oppressent, qui nous pourchassent, harassent, hélas, ils nous blessent. On voudrait que ça cesse. Pour qu’on les chasse, qu’on s’en débarrasse, il faut qu’on les confesse, demander qu’on nous embrasse, réclamer une caresse. Tu verras, ça délasse.
Personne n’est sans faille, invincible, invisible, insensible. Les faiblesses, c’est louable de les avouer. Les masquer ne les fait pas oublier. On ne peut pas les amadouer, il faut les dénouer, sinon on va s’échouer.
Jour après jour,
pierre après pierre,
mot après mot…
A vous, les muets du cœur, émus que tout écœure, dont la voix n’est que rumeur. Perdus dans vos déserts superbes, en quête du verbe, égarés dans ce silence acerbe. Si lent et glacé, acéré, un vrai sacerdoce.
A vous, les muets du cœur, libérez vos sentinelles, sidérez l’éternel, vous vous sentirez poussez des ailes.
Si les mots sont trop lourds, trop sourds, si les mots sont trop courts, laissez-vous portez par eux : apprenez cette prière primaire mais primordiale. Une prière charnière, comme une barrière aux chimères et à la colère, pour quitter les ornières :
« Ces p’tits mots, mes p’tits mots, prenez-moi dans vos bras, portez-moi après mes propres maux,
là où parole est libre,
là où parler est vivre.
Prenez-moi dans vos bras, et lisez en moi ce que je ne peux dire. Menez-moi aux mots élyséens, au mausolée lointain de mon latin. Aidez-moi à sortir de ce souterrain incertain, où je m’éteints et m’isole en vain. De ma propre parole, je ne veux plus être clandestin, mais en redevenir maître et souverain, pour enfin suivre ma voie. »
Ces p’tits mots, tes p’tits mots qui guérissent des grands maux :
« je ne veux pas »,
« respecte-moi », ..
« il me bat »
Mêmes les plus bavards ont leur façon de se taire. Leur façon de tant parler, pour te noyer les mystères, et ne pas avoir à t’en parler.
Je voudrais me faire le porte-voix de ceux qu n’en ont plus. Au nom des souvenirs fossilisés, au nom des sentiments cachés, des phrases estropiées, qui sentent l’amertume des jours bafoués. Au nom des silences qui ne se hâtent jamais, au nom des sous-entendus qui nous hantent toujours.
Je voudrais te donner le salut des secrets, le salut des silences discrets qu’on n’écoute jamais.
Je t’invite au discours des muets, au rendez-vous des absents, à l’écho des silences. Viens écouter les non-dits, c’est l’école de la résilience.
Viens dans la rue de la solitude, écoute voir la lassitude de tous ceux qui y vivent par habitude. Ils voudraient que ça change, pourtant on n’y entend passer que les anges. Rue de la solitude, on n’y parle qu’une langue : celle de ceux qui ont perdu la leur, par inquiétude, et manque de certitudes. Une langue de parole perdue.
La parole a des âges, le silence n’en a pas :
« Dis, mon père, pourquoi tu me fais faire ça ? »
Par tous les temps, les silences sont les mêmes.
En silence, l’ado goûtait les cachetons. En silence, le papa manie le bâton. En silence, la mamy perdra ses ambitions.
A tous les âges, les silences valent autant. Ils protègent des violences, mais c’est elles qui forcent au silence.
Ces p’tits mots, ces p’tits mots sont si beaux.
Ta voix est la plus belle quand tu la donnes en partage. Souviens-toi de celle qui fredonnait à tout âge. Parce que chaque mot lancé en l’air fait un écho à la misère.
Malheureusement,
ces p’tits mots si durs à dire,
même si tu réussis à les apprendre,
encore dois-tu trouver une oreille attentive,
et qui sache… les comprendre.
Elie (4 min 35)
25 janvier 2011 dans Comportements humains, Quelle société ! | Lien permanent | Commentaires (1)
Je suis un bébé très curieux, qui observe tout ce qui passe à portée de ma poussette.
Oh le bel escalator ! Comme j’aimerais savoir comment il fonctionne !... Chouette, maman le descend en me laissant face à la pente, comme ça ma poussette penche de plus en plus en avant.
Youpi, je tombe de la poussette !! J’ai l’occasion de voir de très près la dizaine de marches métalliques que je débaroule sur le nez. (Je parie que j’arriverai le premier en bas !)
Et pouf, je rebondis sur ma compote de tomate, ça fait une grosse flaque rouge qui impressionne toutes les autres mamans.
Ne vous en faites pas, mes gémissements sont des cris de joie : j’ai compris où disparaissaient les marches de l’escalator !
Maman, tu as raison de ne pas les laisser appeler le SAMU. Tu félicites suffisamment ma découverte en serrant mon petit crâne dans tes bras aimants. Peux-tu juste me débarbouiller du jus de tomate qui brouille légèrement ma vue ?
Quittons vite ce grand magasin, et allons au zoo, s’il te plait...
Vu dans un grand magasin à Grenoble.
14 novembre 2010 dans Comportements humains, Perles de vie, Quelle société ! | Lien permanent | Commentaires (2)
En octobre, je vous avais dit beaucoup de bien de cette pièce de théâtre :
"Des fleurs pour Algernon"
mis en scène par Abdou Elaïdi et joué par Denis Beaudoin (roman original de science-fiction par Daniel Keyes).
En bref, c'est l'histoire de Charly Gordon, simple d'esprit, que 2 chirurgiens psychologues vont opérer pour tenter de démultiplier ses facultés mentales. Charly tient alors un journal à leur demande, pour témoigner des évolutions qu'il ressent. Algernon, elle, est une souris blanche qui a subi le même traitement. Elle donne ainsi un aperçu des formidables évolutions intellectuelles à espérer pour Charly. Mais Algernon finit par régresser, présageant alors de la terrible décrépitude qui attend Charly, devenu "hyper intelligent"...
Sachez que cette pièce sera à nouveau jouée
jeudi 10 et vendredi 11 juin 2010, à 21h
au Parc de Miribel, 38330 Montbonnot
(sous chapiteau)
Je vous recommande vivement cette pièce, je l'ai personnellement trouvée vraiment très intéressante. Elle est à la fois comique et tragique, amusante et émouvante. Mais elle nous fait surtout réfléchir à nos réactions face aux différences entre les gens. Elle pose la question du regard sur l'autre, le regard sur les handicapés, à travers l'odyssée de Charly "hyper intelligent". On en ressort grandi, fort de cette extraordinaire expérience vécue à travers Charly.
A ne pas manquer !
Voir aussi mon compte rendu de la pièce quand je l'ai vu la 1ère fois.
Tarif : 7€ - 10€, durée 1h15
Réservations : http://lesantidotes.free.fr ou 06.26.35.01.93
http://algernon.over-blog.fr
02 juin 2010 dans Comportements humains, Evénements, Vivons livres ! | Lien permanent | Commentaires (0)
13 avril 2010 dans Comportements humains, Quelle société ! | Lien permanent | Commentaires (0)
En rentrant du travail, devant ma superette habituelle au pied de chez moi, je vois un homme, de dos, serrant un chat contre lui. J’aperçois le petit animal roux qui tend la tête en tous sens pour trouver un peu plus d’espace dans les bras de son maître.
Ça y est, aujourd’hui ça fait pile 3 ans que je galère. Pas vrai, Scarmouche ?... Dis, arrête de bouger comme ça, tu vas te faire mal.
Un jeune passe, je lui demande de la monnaie. Il m’en donne pas, mais il s’arrête et on discute. Puis il me demande mon prénom ! Ça me surprend presque, d’habitude personne s’intéresse à moi. Moi, c’est Christophe, 34 ans. Il me dit alors le sien. On rigole en pensant à Elie Kakou (ça c’était un gars rudement bien, super drôle, et tout. Comme Coluche, y’en a pas deux des comme lui. Il a fait des choses super bien pour les gars dans ma situation.)
Je lui demande comment il s’est retrouvé dans cette galère. Il est plus ou moins en rupture familiale. Du genre anarchiste à 20 ans, il ne voulait pas travailler pour une entreprise, il voulait son indépendance et mener sa vie comme il le sentait. Ses parents lui ont dit « OK, débrouille toi. » Heureusement ils n’ont pas vraiment coupé les ponts. Une fois qu’il aura trouvé un boulot, Christophe sait qu’il pourra compter sur eux pour payer une partie des honoraires (qui vont jusqu’à 300€ !) pour son logement.
Je regrette pas d’avoir fui ma mère. Elle était alcoolique, elle me faisait des trucs qui se faisaient vraiment pas à un fils. Personne pourrait imaginer ce qu’elle me faisait. Je préférais dormir dehors plutôt que de la revoir.
Animé d’un désir de lui apporter d’avantage qu’une froide pièce de monnaie, semblable à n’importe quelle autre, je me mets à sa place et cherche quel réconfort serait le plus accessible dans sa situation, et le plus efficace. Je lui demande donc ce qui lui ferait plaisir de manger. Intéressé par la question, il me fait part de ses besoins, très raisonnables. Je dois donc reformuler ma question pour qu’il m’avoue la sucrerie qui le ravirait. Je m’absente un instant et lui ramène quelques boîtes de conserve et une bouteille de lait, auxquelles je rajoute des biscuits au chocolat. Comme il me le confirmera, je me doute bien que le lait profitera aussi à son chat, je l’achète alors de très bon cœur. (Ai-je été apitoyé par le chat ?...) Il me remercie chaleureusement, et va même jusqu’à m’offrir un peu de ce qu’il a de plus précieux en cet instant : un des biscuits au chocolat. Je le remercie à mon tour.
Et là il me ramène au moins 2 ou 3 boites de légumes en conserve ! Ça me fait trop plaisir, j’avais jamais eu autant de truc à la fois, c’est trop fort. Je lui dis direct que je garderai pas tout pour moi, je partagerai avec les autres du 115. Là-bas on partage toujours les trucs qu’on a reçus dans la journée.
- Lui c’est mon chat, c’est Scaramouche (des fois je l’appelle Zarmouche, ça dépend). Tu veux le caresser ? Vas-y, il griffe pas. Il a l’air de t’apprécier, il te regarde avec ses grands yeux, il est trop mignon, pas vrai ?
- Il est très beau, j’aime beaucoup les chats, moi aussi. Zarmouche et toi, vous venez de Grenoble ?
- A 20 ans, je suis parti de Grenoble pour Bourg-en-Bresse, tu vois. Là-bas j’ai fait des jobs, jusqu’à mes 31 ans. Et puis je suis revenu à Grenoble, c’était il y a 3 ans. Mais faire la manche dans la ville où t’as grandi, c’est super dur, t’imagines ? Les gens qui passent, y'en a que tu connaissais, avant. Mais maintenant, t’es un SDF, alors plus personne te reconnaît...
Je peux clairement lire dans ses yeux le désarroi vécu.
- Tu faisais quel genre de petits boulots ?
- La restauration collective, c’était super, tu vois. J’aime pas trop être avec les autres, dehors, dans la vie, mais pour le boulot, ça va. Dans les cuisines d’une cantine, OK, mais dans un restaurant, je serais trop timide face aux clients, je pourrais pas. Donc ouais, la cuisine de collectivité, j’aime bien.
- Je ne te trouve pas si timide que ça, là…
Je lui fais un sourire complice pour l’encourager à rester à l’aise. Complice avec moi-même aussi, d’ailleurs : mes propres paroles s’appliquent aussi bien à moi, qui avais jusque là beaucoup de mal à aborder ces frères humains malheureux.
- C’est autre chose, là. Toi, t'es un gars rudement bien, il y en a presque pas, des qui s'arrêtent et qui discutent avec moi, comme ça.
- Tout le monde devrait le faire, je ne suis pas quelqu’un de particulier… Mais dis-moi, où est-ce que tu passes la nuit, en ce moment ?
- Tu vois, cet hiver, je dormais dehors, chaque soir. Des fois, quelqu’un me dit que je peux dormir dans le hall de son immeuble. Là c’est le paradis, alors. Je pose mon duvet dans le hall, devant la porte du gars, et je me sens bien. Juste à côté, il y a sûrement des gens tout seuls dans des appart’ trop grands et surchauffés, mais tant pis, dormir pas dehors, pour moi c’est déjà un super luxe.
- Mais il fait vraiment très froid en ce moment, moi, à ta place, je serais déjà mort de froid !
- C’est clair, depuis 10 jours, c’est plus possible. Alors finalement je suis au 115, le centre social d’urgence. On est à l’abri, mais j’aime pas aller là bas, y a des clodos qui me font vraiment peur, ils sont violents, sales, et tout, tu sais pas qui a dormi là avant toi, tu peux chopper des maladies… Tu vois, j’aime bien les chats, parce qu’ils sont propres tous seuls, ils sont doux, et moi j’aime bien être propre de temps en temps aussi. J’aime pas trop aller au 115, mais au moins, je peux me laver, là-bas, c’est agréable.
- Je vois que tu es bien couvert, tu n’as pas froid ?
- Non, t’en fais pas, ce pull il est super chaud, et avec mon bonnet, j’ai pas trop froid, le jour. Mais c’est la nuit qui fait super froid. Nous les SDF, on a qu’un moyen pour se réchauffer, tu sais ce qu’on fait : on marche. On marche, on marche, dans les rues, pendant des heures, toute la nuit, des fois. Avec d’autres qui se gèlent aussi. Si tu voyais ça, c’est trop triste à voir, on dirait un cortège comme pour les enterrements. Sauf que là, le mort fait lui-même parti du cortège... L'espérance de vie d'un SDF, c'est 45 ans, tu te rends compte ? Le pire c’est quand t’es tout seul, tu sais que le lendemain ce sera pareil, t’as personne sur qui compter, t’as plus d’espoir, tu vois…
Une vieille dame lui tend un paquet de pâtes.
- Tenez, Monsieur.
- Merci madame, vous êtes très aimable, c’est très gentil.
- Oooooooh je n’avais pas vu le chat, je reviens tout de suite.
Elle réapparaît aussitôt avec des croquettes et gratte le félin entre les oreilles.
- C’est Scaramouche qui va être content, merci beaucoup, Madame !
Une jeune femme lui donne une boîte avec de la monnaie posée dessus. Un homme lui demande s’il fume, et lui laisse son demi paquet de cigarettes. Christophe remercie chacun sincèrement.
J’ai la nette impression que, du fait que je discute avec lui, les passants font davantage attention à ce SDF. En 10 minutes, 4 personnes ont contribué à remplir le petit sac de Christophe, pourtant resté vide toute la journée.
« Tiens, un jeune homme normal discute avec… un humain dans le besoin. Ce SDF n’est plus un élément invisible du mobilier urbain, fondu dans le décor comme un lampadaire ou une poubelle. C’est un humain comme moi, qui a son histoire, ses souffrances et ses espoirs. Si ce jeune homme le fait, je dois bien pouvoir moi aussi faire quelque chose pour ce SDF... »
Après 10 minutes de discussion, c'est quasiment Christophe qui prend congé de moi, car, d'après l'heure que je lui donne, il est temps pour lui d'aller à l'ouverture du 115.
Ça faisait longtemps que j’avais pas entendu quelqu’un qui me dit gentiment « à demain, Christophe ! » Ça fait franchement pas de mal…
Nous nous serrons la main, en nous souhaitant une bonne soirée. Notre discussion a dû lui faire du bien. J’ai sûrement ravivé sa part d’humanité. Il a semblé plus épanoui et heureux en repartant. Peut-être sera-t-il plus confiant avec les autres désormais. Enfin, c’est avec le sourire que je prends le chemin de mon 115 habituel, en grattant le menton de Zarmouche.
Je ne vois plus Christophe à cet endroit, depuis quelques jours. Je m’en réjouis, cela doit signifier qu’avec son assistante sociale il a trouvé un emploi. Il aura un logement fixe, et rétablira le contact avec ses parents, ne serait-ce que pour enfin oser leur demander une aide financière.
C’est à présent Traian qui a pris cette place devant la supérette. Lui aussi a été surpris quand je me suis présenté et lui ai demandé son prénom.
Certes, certains Roumains font partie de groupes de mendicité organisée. Certes, l’argent que Traian récolte finira peut être dans la poche du propriétaire de la Mercedes qui viendra le ramasser ce soir. Mais sa situation n’en est pas moins malheureuse, et il mérite comme tout le monde un peu de considération, être compris, sans être jugé. Les articles qu’il m’a répondu désirer étaient des produits de première nécessité : sucre, café, lait… Pendant quelques minutes, il appréciera une boisson chaude en se disant qu'il y a, sur Terre, encore quelques humains dignes de ce nom. Et je serais peut être le seul à lui dire « Bonjour Traian » en souriant quand je passerai désormais.
16 février 2010 dans Comportements humains, Perles de vie, Quelle société ! | Lien permanent | Commentaires (3)
Le livre m'avait tellement plu que je n'ai pas hésité à aller voir une adaptation sur les planches de ce grand classique de science-fiction (1959).
Des fleurs pour Algernon, de Daniel Keyes
C'est l'histoire de Charly Gordon, simple d'esprit, que 2 chirurgiens / psychologues vont opérer pour tenter de démultiplier ses facultés mentales. Charly tient alors ce journal à leur demande, pour témoigner des évolutions qu'il ressent. Algernon, elle, est une souris blanche qui a subi le même traitement. Elle donne ainsi un aperçu des formidables évolutions intellectuelles à espérer pour Charly.
Daniel Keyes, l'auteur, représente la simplicité d'esprit de Charly par une orthographe atroce, presque phonétique, des phrases plus que simples, dénuées de ponctuation. Lorsque j'avais recommandé ce livre à mon frère, il avait refusé de le lire car il craignait que sa propre orthographe, pas très assurée, soit négativement influencée par une telle lecture... :-) Dans cette adaptation théâtrale, l'unique acteur jouait très bien le personnage attardé, par une locution hésitante et des mimiques enfantines. L'acteur, âgé d'une soixantaine d'années, n'avait alors plus d'âge. Puis progressivement, le nouveau Charly prenait place, de plus en plus sûr de lui, jusqu'à être autoritaire, colérique, et au langage châtié. La forte stature et l'âge noble de l'acteur renforçait alors le caractère du personnage.
Avant l'opération, Charly est triste de se faire battre par Algernon dans les tests qu'ils passent tous les deux : trouver son chemin dans un labyrinthe. Mais il apprécie cette souris blanche pour sa belle couleur et sa douceur. L'idée de probablement devenir aussi intelligent qu'elle le rend heureux. L'innocence de Charly est touchante par ses idéaux simples, mais aussi par sa sensibilité à ces petits choses qui l'affectent beaucoup : il est par exemple désespéré de ne pas avoir su à quelle image telle tâche d'encre aurait du lui faire penser.
Une fois opéré, ses capacités intellectuelles progressent extrêmement vite. En quelques semaines, il comprend et mémorise tout ce qu'il lit, apprend de nombreuses langues (vivantes ou mortes), et devient encore plus compétent que ses chirurgiens eux-mêmes. Mais cette compréhension de plus en plus rapide et complète du monde s'accompagne d'une incompréhension des humains, ceux-là même qu'il croyait comprendre auparavant. Charly considérait comme des amis ses collègues à la fabrique de boîtes en plastique où il travaillait. Mais il se rend maintenant compte que ces "jeux" qu'il appréciait naguère n'étaient que moqueries et dénigrements de la part de ses collègues. Il en souffre alors maintenant beaucoup, a honte de son "lui" d'avant, est désespéré de ne pas pouvoir remonter le temps et s'aider lui-même. Il se sent terriblement seul, impuissant et étranger même à son existence passée, si différente de lui maintenant. Il devient extrêmement critique avec les autres et rejette à son tour tous les individus qui ne sont pas aussi intelligents que lui.
Mais Algernon finit par régresser. Elle ne trouve plus la sortie du labyrinthe, ne s'alimente plus, s'entête à reprendre les comportements bêtes (bestiaux) d'avant l'opération. Charly est pris de panique : il a sous les yeux sa propre décrépitude à venir. Qu'est ce qui peut faire davantage souffrir que de savoir dans quel état on va finir, sans aucune échappatoire ? Savoir que cette parenthèse d'évolution accélérée est sur le point de se refermer ? Que l'avenir sera à nouveau fait de bêtise et d'ineptie, contre lesquelles le génial Charly s'insurge tant ? Redevenir un de ces sinistres crétins que Charly dénigre tant... Déjà, Charly ne comprend plus ses propres notes dans son journal. Il ne comprend plus le si beau (mais si complexe) poème "Paradis perdu", de J. Milton. En contrepartie, il se sent à nouveau apprécié des ses anciens collègues de l'usine. Retour aux plaisirs simples de la vie, comme si cette période de génie n'avait jamais eu lieu.A la place de Charly, quelle serait votre dernière pensée "géniale", dont vous seriez conscients que c'est la dernière, avant l'inéluctable régression ? Pour ma part, je pense que j'aurais un infini regret d'avoir critiqué ces personnes "inférieures" car différentes. Au début de sa phase géniale, Charly souffrait de ne pouvoir projeter sa bienveillance vers son "lui" passé ; or, lorsqu'il redoute sa propre dégénérescence, il se rend compte que par son comportement critique bien que génial, c'était de la malveillance vers son propre "lui" futur, qu'il projetait !
Charly passe par trois stades. En mettant en scène un arriéré, on regarde d'abord de l'extérieur le personnage évoluer. "Heureusement, je ne suis pas pas cet idiot de Charly." Puis il devient à peu près intelligent, il s'exprime comme nous. Nous nous identifions à lui. L'auteur nous entraîne alors avec Charly vers une situation "idéale" où nous sommes doués d'une intelligence sans égale. Puis nous régressons, emmenés par le malheureux Charly. Nous ne pouvons alors faire autrement que de réagir, de nous révolter contre notre propre fin !
L'auteur met en scène la différence entre les individus, représentée par les différents stades intellectuels de Charly. Mais c'est surtout nos réactions face à ces différences dont il s'agit dans cette œuvre. Charly est un miroir qui nous rappelle que nous avons eu la chance d'être arrivé à ce stade d'évolution cérébrale, c'est-à-dire la chance d'avoir été (relativement) acceptés comme nous sommes jusque là, et nous avons (relativement) accepté les autres dans leurs différences. Nous devons alors, nous spectateurs, faire les bons choix pour ne pas en arriver à la descente aux enfers de Charly. Cette descente risque de nous emmener, paradoxalement, aux "sommets" d'arrogance d'où on rejette les autres, ou aux tréfonds d'où on subit la discrimination des autres.
Charly avait-il le choix ? Non, le miracle de la science lui est tombé dessus, il a été spectateur de sa propre évolution, il l'a subie sans la comprendre. Mais nous, nous disposons de ce choix. Pour nous aider à prendre le bon chemin, cette œuvre, par le "sacrifice" de Charly, nous remet à l'esprit cet atout dont nous disposons : une vision globale des différents comportements possibles et de leurs conséquences. Contrairement à Charly, nous ne ressortons pas de cette expérience "comme si cette période de génie n'avait jamais eu lieu" : nous, nous savons comment c'était "avant", et nous savons déjà comment cela risque d'être "après" ! Contrairement à Charly, nous avons toujours la possibilité de projeter notre bienveillance sur les personnes différentes de nous, et nous avons déjà conscience que nous projetons (relativement) trop de malveillance sur les autres. L'altérité entre "moi" et les autres est représentée par le passé et le futur de Charly. "L'autre" est potentiellement un "moi" futur (ou passé).
Ainsi le message de l'œuvre "Des fleurs pour Algernon" s'adresse à chacun de nous ; mais pour bien l'entendre, chacun doit l'écouter d'une oreille globale, c'est à dire se mettre à la place des autres. S'inquiéter de ne pas subir de discrimination est directement lié à s'inquiéter de ne pas en causer. Cette sensibilité à la réciprocité est un élément requis à la lutte contre la discrimination.
Justement, à la sortie du théâtre, un des jeunes qui étaient présents avait le comportement critiqué par cette pièce. Il parlait de l'acteur : "Dès le début, quand j'ai vu le genre d'hystérique que c'était, j'ai pensé laisse tomber, toi j't'aime pas... Direct." Puis : "Ce genre de pièce, ça devrait être interdit au plus de 15 ans !" Malgré sa vingtaine d'années, il n'avait pas été sensible au message. Il n'a du percevoir que le côté science-fiction de la pièce : imaginer qu'on puisse devenir très intelligent. Mais le côté initialement ridicule du personnage l'a malheureusement dégouté et il a été hermétique à tout le reste de la pièce. Du coup, lui qui avait fièrement passé l'âge des marionnettes pour enfants, il se sentait insulté par cette prestation qu'il jugeait ridicule et sans intérêt.
Dans cette adaptation théâtrale, l'unique acteur (Denis Beaudoin, ancien informaticien reconverti au théâtre) avait une manière particulière de saluer : modeste, discret, presque gêné. Il a même pensé à orienter les applaudissements vers la souris blanche factice, comme si c'était Charly lui-même qui rendait hommage à son alter ego. Même le crâne humain à qui s'adressait parfois l'acteur a eu droit à de la reconnaissance. Je sentais donc par ces petites attentions, sans prétentions, que Denis Beaudoin s'impliquait personnellement dans le message qu'il véhiculait à travers son jeu de cette œuvre. En effet, il a créé l'association Les Antidotes pour proposer animations, théâtre, ou lectures à des victimes discrètes de discriminations : les personnes âgées, atteintes de morosité et de solitude. "Savez-vous qu'une personne âgée sur cinq n'a pas l'occasion de parler quotidiennement à quelqu'un !"
Quant au metteur en scène (Abdou Elaïdi), il œuvre depuis plusieurs années dans les banlieues dites difficiles de Grenoble. Il travaille avec des jeunes qui ont besoin de reconnaissance et de se réaliser à travers ce qu'ils font.
10 octobre 2009 dans Comportements humains, Vivons livres ! | Lien permanent | Commentaires (1)
Je cède ici à la facilité de reprendre ces articles (source 1, 2, 3) sur ce livre d'Anne Morelli :
L'auteur analyse et dénonce les méthodes de propagande utilisées par les nations modernes pour gagner l'opinion publique à leur cause et justifier ainsi leurs guerres pas toujours si justes. Historienne, professeur à l'Université Libre de Bruxelles ("la critique historique appliquée aux médias modernes"), Anne Morelli est particulièrement bien placée pour cette analyse.
Ces "principes élémentaires", qui frisent l'intoxication ou le simple "médiamensonge", ne sont évidemment pas récents.
Le point de départ est le livre d'Arthur Ponsonby "Falsehood in Wartime" publié à Londres en 1928 :
"Arthur Ponsonby a ainsi décrit quelques mécanismes essentiels de la propagande de guerre, qu'il est possible de résumer en dix commandements. J'ai systématisé ces "dix commandements" en dix chapitres (…), je me suis attachée à démontrer qu'ils n'étaient évidemment pas à l'œuvre dans la seule Première Guerre Mondiale et que, depuis, ils ont également été utilisés régulièrement par les parties en présence, lors de conflits, même parmi les plus récents."
Plus de détails derrière ces liens :
Guerres mondiales, Kosovo, guerre du Golf, Irak... Anne Morelli reconnaît ouvertement que la propagande n’est pas le propre des régimes nazis ou fascistes mais qu’elle affecte aussi nos régimes démocratiques.
Quant à la diversité de l’information tant vantée pour distinguer nos régimes des régimes totalitaires, il devient patent aux yeux d’un nombre sans cesse croissant d’analystes médiatiques qu’il s’agirait tout au plus d’un slogan destiné à maintenir les gens dans l’illusion de la liberté de pensée.
L'analyse d'Anne Morelli passe toutefois sous silence une des questions élémentaires concernant la propagande de guerre : « Quelle est l’origine, la cause rendant nécessaire un tel phénomène ? »
La propagande de guerre est certainement liée à l’émergence des nationalismes au XIXème siècle et plus spécifiquement des régimes démocratiques. La propagande de guerre serait donc un phénomène historique visant essentiellement à toucher le peuple dans la mesure où celui-ci est désormais (théoriquement) associé au pouvoir ! Et la propagande de guerre est orientée de telle manière que le peuple continue à soutenir ses dirigeants dans les crises les plus graves. C’est ce qui fait à la fois la force et la faiblesse d’un pouvoir politique qui s’appuie sur le peuple.
Au-delà de son actualité, ce livre permet à tous et toutes de décrypter les discours et actes de propagandes appliqués à toutes les guerres, mais aussi aux « conflits » sociaux et sécuritaires.
« La propagande est à la société démocratique ce que la matraque est à l’Etat totalitaire. » (CHOMSKY Noam, Propaganda)
Documentaire associé :
Un écrivain (Jean Bricmont), deux historiennes (Anne Morelli et Annie Lacroix-Riz), un expert militaire (le Général Forget), et une journaliste (Diana Johnstone) comparent ces thèmes de propagande en Irak avec ceux développés lors d'autres conflits, tels celui de 1914-18, les coups de force hitlériens des années '30, les guerres de Yougoslavie ou celle d'Afghanistan...
Attention, gardons notre sens critique même devant ce reportage lui-même critique : la comparaison entre l'armée US et un régime totalitaire est parfois facile...
09 septembre 2009 dans Comportements humains | Lien permanent | Commentaires (0)
Vendredi 6 mars à 20h15
A la Maison des Associations,
rue Berthe de Boissieux (Grenoble) plan
Contact : 06.84.04.74.82 / 04.76.87.59.79 mail
Qui utilisait en premier le rouge et blanc comme couleurs royales ? D'où vient le symbole du lion pour la royauté ? Qui construisait des châteaux forts bien avant nous ?... Ce sont les civilisations africaines, que la notre a ensuite copiées.
"De nombreux chroniqueurs de l'Antiquité comme Hérode, Platon, Diodore de Sicile, Strabon, ont explicitement désigné l'Afrique comme berceau originel des sciences et des techniques dans l'histoire universelle de l'humanité.
JP Omotunde est Guadeloupéen, chercheur en histoire, spécialisé dans l'inventaire des legs artistiques, philosophiques, littéraires, scientifiques et technologiques africains à la civilisation universelle, de la préhistoire à nos jours."
J'ai assisté à une conférence de JP Omotunde l'an dernier sur un thème similaire, et j'ai trouvé son exposé remarquable. C'est incroyable à quel point notre civilisation s'est inspirée de celle qu'on croit pourtant lointaine : l'Afrique. L'exposé est très documenté, archi-pédagogique, (avec un powerpoint, des illustrations saisissantes, etc).
Malheureusement, très peu de personnes étaient au courant : aucune information sur internet, quelques affiches et tracts, l'information n'est pas vraiment relayée, et surtout, le personnage n'est pas très connu à Grenoble.
Alors venez nombreux cette année, parlez-en si vous connaissez des gens que ça intéresserait ; c'est quelqu'un de remarquable, il ne vient qu'une fois par an (mais si personne ne vient l'écouter, je ne sais pas s'il va revenir).
04 mars 2009 dans Comportements humains, Evénements | Lien permanent | Commentaires (4)
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